(© Documents Jean Pieribattista)
Ministère de la guerre
Aéronautique Militaire
12e direction
Historique de l'Escadre 12
Imp. de 1'E.S.A. — N. 2. Commande 169. — Mod. N. 10.200   
Nanterre (Seine) 
01-08-22   

Historique de l'Escadre 12

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L’Escadre 12 a été formée le 20 Février 1918 sous le commandement du Chef d'escadron Vuillemin ; jusqu'à la victoire, elle n'eut pas d'autre chef.
Ses incomparables compagnons de l'aviation de corps d'armée, les Lieutenants Moulines et Dagnaux, l'avaient suivi dans la nouvelle escadre. Moulines, un .splendide soldat, à l'esprit droit, animé du plus pur patriotisme, énergique, entraîné et formé par les sports, avait été longtemps pour le commandant un observateur à la fois avisé et téméraire, infatigable, soutenu par un courage et une volonté rares. Il était devenu pilote à son tour. Dagnaux, qui avait aussi déjà brillamment secondé le commandant dans les missions de corps d'armée, allait être le bombardier-mitrailleur habile et sans peur dans les nouvelles expéditions. Beau guerrier, aussi modeste que brave, déjà trois fois blessé, il était revenu du front avec une jambe de bois, pour participer de toutes ses forces, avec sa valeur militaire et son ardeur toujours grandissante, aux durs combats qui libéreraient la terre française.

L'Escadre était composée du G.B. 5, du G.B. 6 et du G.B. 9. Le G.B. 5, formé par les escadrilles de jour 117 , 120 , 127 , provenant du dédoublement de l'ancien. G.B. 5, était commandé par le Capitaine Petit. Le G.B. 6, escadrilles 66 , 108 et 111 , dédoublement du G.B. 3, par le Capitaine de La Morlaix ; et le G.B. 9, escadrilles 29 , 123 , 129 , dédoublement du G.B. 4, par le Capitaine de Lavergne.

Tous ces groupes étaient dotés du "Bréguet XIV B2". L'effectif en personnel navigant était de 300 pilotes et mitrailleurs environ ; à l'armistice, huit mois après sa composition, l'Escadre comptait 110 tués. Elle fut composée presque exclusivement de volontaires.



Dès sa formation, l'Escadre reçut une mission de sacrifice. La brusquerie de l'attaque allemande conduisit le haut commandement à jeter dans la mêlée son aviation de bombardement de jour, en l'employant à une tâche pour laquelle elle n'était pas préparée, tâche périlleuse entre toutes et dont chacun avait pesé (l'avance les difficultés : le bombardement de champ de bataille. L'aviation ennemie, puissante et mordante ; les conditions du bombardement, qui exigeaient (les vols à faible hauteur, ne laissaient aucun doute dans l'esprit des bombardiers sur leur sort futur. Qu'importe, il s'agissait d'aider les camarades fantassins dans les circonstances difficiles et de contribuer au salut de la France. Tous le savaient, tous avaient fait d'avance avec fermeté le sacrifice de leur vie, et leur attitude ne s'est jamais démentie. Certains équipages s'étaient entraînés au vol de nuit et utilisaient les qualités de vitesse et de montée rapide du "Bréguet" pour attaquer à la bombe et à la mitrailleuse tous les objectifs intéressants.

Les premiers mois furent terribles. Sur les colonnes ennemies qui s'avançaient, des tonnes de projectiles furent déversées par des temps souvent très défavorables. A chaque expédition plusieurs équipages manquaient à l'appel, presque toujours tombés en flammes au milieu de leurs camarades impuissants. Malgré ces atroces spectacles, les plus poignants des combats aériens, il n'y avait aucune défection pour un second départ. Rentrés au terrain, les appareils renouvelaient leur provision d'essence et de munitions, et les équipages demandaient souvent eux-mêmes à repartir immédiatement pour venger leurs morts en semant la terreur dans les rangs ennemis.

Du 20 Février au 27 Mars 1918, le G.B. 5 et le G.B. 6, stationnés à Mairy-sur-Marne et Cernon, opéraient en Champagne, et lançaient sur l'ennemi, en bombardements de jour et de nuit, 57.059 kilos de projectiles.

De jour, les expéditions se faisaient à haute altitude (4.000 à 4.500 mètres) et visaient les gares, les dépôts, les voies ferrées, les terrains d'aviation. Des équipages faisaient des reconnaissances à vue et rapportaient (les renseignements précieux. Quand la chasse ennemie parvenait à rattraper les bombardiers, c'était si haut qu'elle avait perdu sa supériorité de vitesse et de manœuvre ; les combats se terminaient toujours à notre avantage. La nuit, quelques équipages attaquaient, à la bombe et à la mitrailleuse, les cantonnements, les trains et les terrains d'aviation à très faible altitude. Le 26 Mars, le Capitaine Moulines est tué ; ce fut le premier. Magnifique soldat, camarade admirable ; héros de l'aviation d'observation, aimé et estimé de tous, ayant puissamment secondé le commandement dans la rénovation de l'aviation de bombardement, il tombait, sans avoir eu la joie de voir son labeur porter ses fruits. A côté de lui, il faut associer le Lieutenant Richet dans le même culte. L'estime, la sympathie, l'admiration que ces deux « as » inégalables avaient l'un pour l'autre rend leurs noms indissolubles. Tous deux sont tombés sans avoir vu la victoire de la France, frappés par le même inexorable destin ; Moulines, de nuit, par la balle aveugle d'un G.V.C. ; Richet, atteint le 29 août par les bombes d'un camarade.

Tous nos tués (Français ou Américains venus pour combler nos vides) représentent une phalange de héros qui ont donné leur vie avec un tel esprit de sacrifice et une telle abnégation, qu'ils ont forcé l'admiration des plus blasés et des plus sceptiques.

Beaucoup sont demeurés inconnus du commandement et du public, l'aviation de bombardement (le jour étant devenue l'infanterie de l'air, où l'individu n'existe plus en dehors de son groupement. Plusieurs étaient déjà des « as » du bombardement de jour dont les expéditions célébres étaient connues de tous.

Le 24 Mars, l'armée allemande avait enfoncé le front anglais. Les avions du G.B.5 allèrent atterrir à Esquennoy, à 5 kilomètres au nord-est de Breteuil, mais revinrent dans la même journée en Champagne, où l'on craignait une autre attaque.

Le 27 Mars, l'Escadre se transportait au Plessis-Belleville. Elle arrivait en pleine bataille et devait garder un poste d'honneur jusqu'au dernier jour de la guerre. Elle fut rejointe par le G.B. 9 et entra, avec l'Escadre, dans la composition du Groupement Ménard. Immédiatement engagée dans la bataille sur le front des 1e, 2e et 6e armées, l'Escadre participait à l'arrêt des troupes ennemies sur le front Moreuil, Montdidier, Ressons-sur-Matz, inaugurant le bombardement et le mitraillage en masse à très faible altitude. L'ardeur, le dévouement des équipages permettaient de lancer 73.517 kilos de projectiles et de retarder l'avance ennemie sur un front de 25 kilomètres sans troupe. Nos bombes et nos mitrailleuses remplaçaient l'artillerie et l'infanterie pendant trois ou quatre jours. Sept avions ennemis étaient sûrement abattus. Il ne s'agissait plus d'aller à grande altitude atteindre au loin chez l'ennemi ses grandes gares régulatrices. On bombardait les arrières immédiats du champ de bataille : les cantonnements, les bivouacs, les convois, les troupes en marche, toujours entre 200 et 1.800 mètres, pour que le tir soit plus précis sur ces objectifs mobiles et de surface restreinte, et pour que la mitrailleuse puisse compléter l'œuvre des bombes. Ham, Guiscard, Roye, Jussy, Tergnier, les cantonnements de Hangest et le Quesnel, la gare de Saint-Quentin, furent aussi bombardés. Le temps nuageux et la pluie empêchaient souvent la marche en gros pelotons. Les appareils partaient et se battaient par petits groupes de deux ou trois. Les incursions de nos avions avaient obligé l'ennemi à masser des forces d'aviation considérables. Les combats se multipliaient et devenaient acharnés. Le monoplace avait repris sa supériorité de vitesse et de montée rapide : les pertes étaient lourdes. Le 28 Mars, le Maréchal des logis Audinot était tué; trois jours après, deux équipages étaient abattus; Baleaud, excellent pilote ; Polonceau, jeune caporal observateur, s'écrasaient au sol chez l'ennemi. Le 10 Avril, le Sergent Sauvaget, mitrailleur de la 129, était tué; le 12 Avril, c'était le Sergent Mitrailleur Frédières, du G.B. 6. Le lieutenant Abadie, commandant la 117, héros modeste et consciencieux ; le Lieutenant Mativon, son frère d'armes qu'il venait d'appeler à son escadrille, tombaient glorieusement le 21 Avril. Le même jour, le Maréchal des logis Pinatel était mortellement blessé.

Par ordre du 21 Avril, le G.B. 5 était cité à l'Ordre de l'armée dans les termes suivants.

« Le Général de Division de Castelnau, commandant le Groupe d'armées de l'Est, cite à l'Ordre de l'armée :

Les escadrilles 117, 120 et 127 du 5e groupe de bombardement.

Sous la vigoureuse impulsion du Capitaine Vuillemin, commandant le groupe, et du Capitaine Petit, commandant les escadrilles de jour de ce groupe ; des Lieutenants Richet, Lemaitre et Abadie, chefs d'escadrilles, se sont fait remarquer par leur allant, leur audace et les grandes pertes qu'elles ont infligées à l'ennemi, lançant en plein jour près de 110 tonnes d'explosifs sur des objectifs souvent très éloignés des lignes.

Au cours d'une expédition en Allemagne, ont supporté victorieusement le choc de nombreux avions de chasse ennemis et en ont abattu trois, dont un en flammes. »

Le 1er Mai, l'Escadre se transportait à Fouilloy (Somme) pour travailler sur le front des 1e et 3e armées. Le mauvais temps rendait le déplacement difficile. La nouvelle zône d'opération était la grande boucle de la Somme, entre Corbie, Péronne et Ham. Le 3 et le 10 Mai, bombardement de Chaulnes ; le 9, deux expéditions sur Caix et Guillancourt ; le 15, Davenescourt et Nesle. Le Lieutenant de Sainte-Chapelle était tué le 4 Mai d'une balle au cœur, après s'être défendu jusqu'au bout, malgré les blessures déjà reçues. Le 16 Mai, l'Escadre 12 était rattachée à la division aérienne qui venait d'être créée, le groupement Ménard devenait 1ère brigade d'aviation sous le commandement du Commandant de Goys. Le 17 Mai, au bombardement des hangars ennemis de Cappy, le Lieutenant Dusapin était tué, son appareil désemparé. Le Sous-Lieutenant Tanner, d'origine suisse, dans un geste splendide de camaraderie, se portait à son secours et mourait pour la France, qu'il avait choisie comme grande patrie. Dans la même expédition, le Maréchal des logis Mohr était tué d'une balle à la tête. 49.026 kilos de projectiles avaient été lancés pendant cette période et 5 avions ennemis abattus. Le 29 Mai, l'Escadre rejoignait le Plessis-Belleville et travaillait sur le front des 6e et 10e armées, participant aux combats du ravin de la Savières.



Dans cette nouvelle bataille, qui commençait entre Aisne et Marne, chacun se rendait compte que la situation exigeait tous les dévouements, tous les sacrifices. Il fallait faire face à l'attaque allemande sur le Chemin des Dames, déclenchée dans la nuit du 26 au 27 Mai. Le 30 Mai, la mort du Lieutenant Lebarbu, déjà célébre dans l'aviation d'observation, marquait le début d'une période de durs combats. Le lendemain, l'Escadre perdait les équipages Artin, Galbrun, Béranger, Wolff, de la 29 ; Lecomte, Garcette, de la 129. Deux jours après, c'était Istria qui tombait dans nos lignes ; puis l'observateur américain Eymann qui était abattu en flammes avec le Maréchal des logis Contel, de la 129. Le G.B. 5 perdait les Lieutenants de Loture et Xambo ; les Adjudants Ordronneau et Dupriez, vieux brave de 45 ans ; le Sergent Gresnal ; le Caporal Guillain. Le 4 Juin, le commandant de l'Escadre, transmettait par la voie de l'ordre les félicitations qu'il recevait :
De tous côtés affluent les remerciements des fantassins pour l'aide immédiate qui leur est apportée par les bombardements de champ de bataille. Hier encore le bombardement du ravin de « la Savières a enthousiasmé la 128e division ; il a probablement retardé une forte attaque qui n'a pu être déclenchée que ce matin et a été repoussée. Les bombardiers forcent l'admiration de tous.
Le Chef d'escadron commandant l'Escadre adresse ses félicitations à tout le personnel des groupes, pour le travail considérable qui a été fourni par eux depuis le début de l'offensive allemande et notamment depuis le 31 Mai.
Pendant les journées des 31 Mai, 1er, 2 et 3 Juin, l'Escadre a lancé 105 tonnes d'explosifs sur l'ennemi et a abattu 13 avions allemands (homologués). »
Le 4 Juin, le Sous-Lieutenant de La Chapelle et son mitrailleur de Massin étaient tués. Le 9 Juin, deux appareils du G.B. 5 entraient en collision au-dessus de l'objectif et les équipages Maréchal des logis Ropartz et Caporal Milloud ; Maréchal des logis Boulanger et Sous-Lieutenant Ménand tombaient chez l'ennemi. Le 12 Juin, au bombardement de Resson-sur-Martz, l'équipage Maréchal des logis Bossard, Sergent Leyre tombait en flammes près de l'objectif. Le 14 Juin, le Lieutenant Gicquel, de la 29, était tué au bombardement de Soissons.
L'ennemi, qui avait découvert le nid de ses redoutables adversaires, bombardait 3 nuits de suite le terrain du Plessis Belleville, sans grand dommage pour l'Escadre. Dans cette dure période, 191.330 kilos de projectiles avaient été lancés, 17 avions ennemis abattus. L'attaque allemande était enrayée. Le 4 Juillet, l'Escadre rejoignait Saint-Dizier et y procédait à la reconstitution des unités éprouvées et à l'entraînement des éléments nouveaux. Le Capitaine de La Morlaix, prenant le commandement de l'Escadre 13, était remplacé au G.B. 6 par le Capitaine Roux. Le 15 Juillet, la période des opérations offensives commençait. En Champagne, elle s'effondrait dans notre première position ; mais, entre Dormans et Jaulgonne, elle réussissait à passer la Marne. L'Escadre bombardait alors les ponts et passerelles jetés sur la Marne par les boches, réussissait à en couper plusieurs et mitraillait les convois qui engorgeaient les débouchés des ponts intacts. Le 17 Juillet, elle recevait les félicitations du commandant de la 1ère brigade de bombardement, transmises par le commandant de l'Escadre en ces termes : « Le commandant de l'Escadre est heureux de transmettre à tout le personnel sous ses ordres les félicitations du commandant de la 1ère brigade, pour le beau travail qui a été accompli pendant les 2 premiers jours de l'offensive et particulièrement dans la journée du 15. »
Les 15 et 16 Juillet :
1° Plus de 50 tonnes d'explosifs ont été lancées avec efficacité sur les passages de la Marne et les rassemblements de troupes.
2° Des renseignements importants ont été rapportés par les équipages.
3° 5 avions ennemis ont été abattus.
Le commandant de l'Escadre est heureux de ce beau résultat et il est fier de commander à des équipages qui, tous les jours, remplissent leurs missions avec entrain, courage et adresse.

Le 18 Juillet, les 6e et 10e armées passaient à l'offensive. Les missions de l'Escadre avaient alors pour but d'aider l'artillerie à interdire la retraite aux troupes allemandes aventurées sur la rive sud de la Marne. Les immenses approvisionnements qu'elles avaient entassés pour leur offensive commençaient à refluer vers l'arrière. Les gares devenaient des objectifs intéressants. Celle de Fère-en-Tardenois était attaquée le 19 ; puis, c'était les dépôts de Romigny, et les cantonnements de Rosnay, Grieux, Janvry, Courcelles, Sopicourt, Savigny-s/-Ardre, où les troupes épuisées et venues au repos croyaient trouver la sécurité momentanée.

Des améliorations avaient été apportées dans les conditions du bombardement. La protection immédiate était assurée par des groupes d'appareil R. XI, fournis par les escadrilles 239 et 240, qui avaient été rattachées à l'Escadre et dont les équipages accomplissaient des prodiges d'adresse et de courage. Les "Bréguet" étaient munis de sièges blindés pour le pilote ; des mitrailleuses étaient placées sous le fuselage pour battre l'angle mort. Le 28 et le 29 Juillet, bombardement de Fismes, Jonchery-s/-Vesle, Savigny-s/-Ardre. Au cours du bombardement le Sous-Lieutenant Delval avait ses commandes coupées en combat ; il réussissait à revenir au terrain, mais, à 40 mètres du sol, l'appareil s'effondrait brusquement ; Delval mourait de ses blessures.

Le Sous-Lieutenant Delaitre de la 123 effectuait son 150e bombardement. Le 7 Août, la division aérienne était massée derrière le front des 1e et 3e armées, pour participer à l'attaque franco-anglaise de Picardie. Le 11 Août, au cours des bombardements de Guiscard, Beaurains, Porquericourt, Genvry, les groupes avaient de nombreux et durs combats : 6 avions ennemis étaient abattus, mais la 239 perdait 2 équipages, la 108 un (Lieutenant Barber, Adjudant Rivière) et la 117 perdait en même temps que l'Adjudant Cambray, le Sous-Lieutenant Kaciterlin, chevalier téméraire pour lequel le danger n'existait plus lorsqu'il s'agissait de protéger un camarade retardataire. Après quelques jours de répit employés à l'entraînement au tir et au vol en groupe, l'attaque de la 10° armée se déclenchait le 20 Août entre Oise et Aisne. Dans cette première journée, l'Escadre comptait 148 sorties, 26.800 kilos d'explosifs lancés, 6.600 balles tirées sur objectifs terrestres, 2 avions ennemis descendus. L'escadrille 108 perdait son chef, le Lieutenant Marquès et le Lieutenant Maguet. La 120 perdait les Lieutenants Gastets et Dufayet. Le lendemain, deux sorties encore sur l'Oise et l'Ailette où l'ennemi s'approchait. Le 22, Anizy-le-Château, Margival, Vauxaillon avaient la visite des groupes, mais l'Escadre une fois de plus était frappée douloureusement encore : Le Lieutenant Richet, commandant l'escadrille 117, est tué : une intelligence magnifique et une volonté toute puissante dans un corps frêle en apparence, la vivante incarnation du devoir. Le boche, qui l'avait blessé deux fois, n'avait pu l'abattre ; les bombes d'un camarade, lâchées au-dessus de lui, mirent son appareil hors de combat : il descendait doucement, en spirales, mais les boches, furieux, l'achevèrent ainsi que son mitrailleur, le Sergent Lods, à coups de fusils et de mitrailleuses.

Le 29 Août, Anizy-le-Château et Brancourt. Au cours de ce bombardement, 5 avions ennemis étaient sûrement abattus, 4 probablement. Le G.B. 6 perdait le Sous-Lieutenant mitrailleur Bonfils. Le 31 Vauxaillon, Nanteuil-la-Fosse, Neuville-s/- Margival étaient encore bombardés.

Pendant toute cette grande bataille, l'Escadre avait lancé 127.540 kilos de projectiles, Elle recevait les félicitations du commandant de la 1ère brigade aérienne, pour le beau travail effectué dans la journée du 29 Août.

« Le chef de bataillon, commandant la 1ère brigade aérienne est heureux de porter à la connaissance de la 12e Escadre que le général commandant en chef vient de citer cette unité à l'ordre de l'armée pour l'admirable travail quelle a accompli depuis sa formation. » Par suite de cette citation, la fourragère couleur croix de guerre est accordée aux escadrilles 117, 120, 127, 108, 111, 29.

Le commandant de la brigade décide que lecture sera donnée dans toutes les unités de l'Escadre du rapport ci-joint établi à l'appui de la proposition de la citation, en attendant que le motif lui-même paraisse au Journal officiel.

Pour appuyer l'attaque que l'armée américaine allait faire sur St-Mihiel, toute la D.A. se déplaçait vers l'Est le 6 Septembre.

Le 12 et le 13, malgré la tempête, les bourrasques et les nuages très bas, Chambley et Mars-la-Tour étaient bombardés.

Mais cette expédition coûtait cher à l'Escadre ; le G.B. 9 était particulièrement atteint ; au départ, le Lieutenant Quatrebarbes, pris dans un violent remous, faisait une chute (le 100 mètres, l'appareil s'écrasait sur le sol, prenait feu ; le Lieutenant Quatrebarbes était carbonisé, son passager très grièvement brûlé.

Au retour, le Lieutenant Mariage pilote et le Lieutenant Lavidalie, observateur, faisaient une chute ; l'avion s'écrasait sur le sol, prenait feu et l'équipage était carbonisé ; 6 autres appareils se brisaient sur le terrain. Ces sorties; effectuées dans d'aussi mauvaises conditions, valaient à l'Escadre lés félicitations du Général Tranchard, commandant l'aviation anglaise et du Général Pershing, transmises le 16 Octobre par le commandant de la 1ère brigade aérienne et dont voici le texte :

" Le chef de bataillon, commandant de la 1ère brigade de bombardement, vient de recevoir du Général Tranchard, commandant les forces indépendantes aériennes anglaises, la lettre suivante :

« Mon Commandant,

« Je viens d'étudier une photographie indiquant les résultats du bombardement effectué par la 1ère brigade aérienne le 10 Octobre. Permettez-moi, mon Commandant, de vous faire part de mes plus chaleureuses félicitations. Je vous envie de tels résultats et je suis convaincu que votre vaillante brigade ne manquera pas de répéter la dose en l'augmentant.

J'espère que ces félicitations du grand chef de l'aviation alliée, grand maître en matière d'aviation, sont des plus flatteuses et je m'empresse de les porter à la connaissance de toutes les unités de la 1ère brigade auxquelles revient tout l'honneur du travail accompli.

Le commandant de la 1ère brigade a reçu la lettre officielle suivante du Major Général Patrick, chef du service de l'air du corps expéditionnaire américain :

1° Nous avons eu le plaisir pendant quelques mois de pouvoir vous envoyer un grand nombre de pilotes pour prendre part au remarquable travail de vos groupes de bombardement et pour partager avec eux le péril et la gloire de leurs missions.

2° Il a été prouvé que tous ces pilotes grâce à votre assistance et à votre bon vouloir de leur laisser tenter la fortune avec les meilleurs de vos équipages, ont été capables d'acquérir une certaine somme de succès et sont arrivés à compter parmi les pilotes les plus valeureux du service de l'air américain.

3° C'est un grand plaisir pour moi de saisir cette occasion pour vous remercier sincèrement de votre assistance constante a diriger nos pilotes et pour vous féliciter des succès qu'ils ont obtenus en travaillant avec vous, succès qui mesurent à peine les splendides qualités de combat qui sont devenues une tradition parmi les équipages placé5 sous votre commandement.

La lettre d'envoi qui accompagne ce témoignage officiel atteste en outre que notre organisation du bombardement est la meilleure que connaissent les Américains.

En transmettant cette lettre aux commandants des Escadres auxquelles en revient tout l'honneur, le commandant de la brigade tient à rappeler la lettre de félicitations que lui écrivait le Général Anglais Tranchard, chef des forces aéronautiques indépendantes à la date du 16 Octobre, lettre qui a été communiquée aux Escadres en son temps.

Les bombardiers; de jour peuvent être fiers d'avoir comme attestation spontanée de leur bravoure, de leur vaillance, de leur organisation et des résultats acquis, deux témoignages officiels émanant des plus hauts chefs des armées de l'air de nos deux grandes alliées, l'Amérique et l'Angleterre. »

Ramenée derrière le front de Champagne, dans la région de Sommesous, l'Escadre suivait attentivement l'attaque de la 4e armée française et celle de la 1ère armée U.S. qui la prolongeait vers l'Argonne. Le 26, elle bombardait et mitraillait les troupes dans la région comprise entre Sainte-Marie à Py, les bois au nord de Somme-Py, le 27 dans la région d'Orfeuil et de la ferme Medeat, le 25 dans le triangle Marvaux, Vieux-Montois, Sechault, combattant en liaison intime avec l'infanterie, l'Escadre pilonnait les abords immédiats de la première ligne où était massées les troupes de réserve. Le 1er le 2 et le 3 Octobre, l'Escadre donnait littéralement l'assaut aux lignes ennemies entre St-Etienne à Arnes et Semide, entre 400 et 800 mètres, elle passait au-dessus de notre infanterie, l'entraînait dans un magnifique élan d'enthousiasme. Le Lieutenant Lemaitre, commandant l'escadrille 120, avait effectué son 120e bombardement et l'Adjudant Guignard de la même escadrille son 125e. Le Caporal pilote Aigueparsse et l'Aspirant Affre se tuaient au départ.

Le 9 Octobre malgré les nuages bas, 85 sorties avaient lieu à faible altitude ; l'Escadre lançait sur l'ennemi 21.900 kilos de projectiles, 10.000 tracts. 6 avions ennemis étaient sûrement abattus, 3 probablement, l’équipage du G.B. 9, Caporaux Delandier et Corbuzier tombaient en flammes.

Le 10 Octobre, la 4e armée attaquait ; 20.600 kilos de projectiles étaient lancés sur Vouziers. Le Capitaine Petit effectuait son 100e Bombardement et pour la 3ème fois l'Escadre recevait les félicitations du commandant de la brigade :

« La première phase de la bataille de France se termine par une brillante victoire après quinze jours de luttes ardentes au cours desquelles les bombardiers de jour ont écrit une des plus belles pages de leur si glorieuse histoire.

304 tonnes de bombes, 100.000 cartouches, lancées sur l'ennemi représentent le travail effectué pendant 12 jours de bataille. Les résultats sont inscrits sur le terrain conquis : Machault, Cauroy, Semide, se sont en partie écroulés sur l'envahisseur, les réfugiés français racontent l'épouvante des Allemands pendant le bombardement de Vouziers, les écroulements de la gare, l'encombrement des cadavres d'hommes et de chevaux dans la briqueterie. Pour accomplir ce travail, les escadres de "Bréguet" effectuèrent 1375 sorties. Les escadrilles de protection R. XI, 209.

Au cours de ces 1584 vols effectués par la brigade, 49 combats furent livrés, 10 avions ennemis s'écrasèrent en flammes sur le sol. Deux des nôtres restèrent à l'ennemi, un de nos observateurs bombardiers fut tué par un éclat d'obus.

Tel est le bilan de la bataille ; nos Morts ont été vengés.

Pendant que nos formations puissantes et ordonnées survolaient les lignes, en route sur leurs objectifs, un frisson d'enthousiasme courait sur le sol, ranimant nos troupes fatiguées par la lutte, leur infusant de nouvelles forces pont se jeter plus en avant. Ce sera pour les bombardiers la plus haute récompense qu'un de nos grands chefs, dont le regard, pénètre à fond l'âme du soldat, ait demandé dans la journée du 3 Octobre, de faire tenir l'air le plus longtemps possible par les bombardiers afin d'enflammer leurs camarades les fantassins par la vue des escadrilles volant à l'assaut.

Ainsi s'est réalisée l'allégorie des ailes de la victoire.

En regardant derrière eux, les bombardiers des escadres 12 et 13 peuvent être fiers de l'œuvre qu'ils ont accomplie. Tous à la 1ère brigade y puiseront la flamme et l'ardeur nécessaires jusqu'aux derniers : combats qui achèveront la victoire. »

Le 27 Octobre, la 5e armée attaquait ; 89 avions lançaient sur Seraincourt 23.400 kilos d'explosifs et tiraient 9.750 cartouches dans les ravins entre Séraincourt et Saint-Ferjeux.

Le 29 Octobre, au bombardement de Reinaucourt, l'Escadre lançait 22.700 kilos de projectiles, tirait 11.040 cartouches et jetait 30.000 tracts. D'après une déclaration de prisonnier, de grosses pertes avaient été infligées du fait, de ce bombardement et la relève n'avait pu avoir lieu. L'ennemi reculait, mais défendait ses positions avec l'énergie du désespoir. La division aérienne revenait. Le 1er Novembre à la 4e armée et opérait en même temps avec la 1ère armée U.S. qui mordait sur le massif boisé à l'est de Vouziers. Dans la région de Noirval et Châtillon-sur-Bar, des convois auto qui encombraient la route étaient démolis, les troupes ennemies mitraillées, 80.000 tracts étaient lancés. Le 3 Novembre, Le Chesne, Tannay et les rassemblements des troupes des environs étaient bombardés et mitraillés, 47.360 kilos de projectiles étaient lancés, 23.920 cartouches tirées. ; 3 avions sûrement abattus. Le lendemain sur Stonne, Le Besace et les environs, 25.710 kilos d'explosifs lancés, 9.450 cartouches tirées, 2 avions ennemis abattus. A partir du 5, un mouvement de repli de l'Escaut à la Meuse était signalé. La 4° armée était en marche sur Sedan.

Le 6 Novembre, l'Escadre bombardait Faissault et Launois ; le 8, à une altitude variant entre 100 et 500 mètres, les groupes mitraillaient les rassemblements de troupes sur les routes de Saint-Marcel à Grève. Ils remarquaient que des draps blancs étaient accrochés aux clochers, et aux maisons de Boulzicourt, Saint-Marcau, Francheville, Marnecourt. Le 10, Mariembourg (à plus de 20 kilomètres à l'intérieur des lignes) et les convois sur la route de Mariembourg à Philippeville étaient bombardés, la gare de Fagnolle était atteinte. Le boche se retirait, un fouillis inextricable de convois encombrait toutes les petites routes. Tous ces objectifs recevaient 23.890 kilos d'explosifs et 12.750 cartouches.

Le 11 Novembre, l'armistice arrêtait les opérations et l'Escadre se transportait dans la région de Neufchâteau à la place d'honneur qui lui était encore réservée dans l'offensive préparée en Lorraine.

Ainsi, après avoir vaillamment contribué à arrêter l'offensive ennemie en Avril, Mai, Juin et Juillet, l'Escadre 12 fut de toutes les grandes attaques, soit pour y participer directement par le bombardement immédiat du champ de bataille, soit pour les préparer par la destruction systématique des voies ferrées, des magasins, des cantonnements de l'ennemi, soit encore pour exploiter le succès par le harcèlement des troupes en retraite. L'apparition d'avions survolant le champ de bataille à basse altitude, et leur participation aux combats terrestres par le feu de leurs mitrailleuses et par l'attaque à la bombe, exerçait au point de vue moral une influence considérable sur les troupes. Ils portaient la confusion derrière la ligne de combat ennemie, troublaient les communications et infligeaient des pertes sensibles aux renforts amenés vers le champ de bataille.

Pour récompenser tant d'ardeur et de dévouement, pour honorer tous les courageux équipages de cette valeureuse formation, le commandant de la 1ère brigade de bombardement transmettait à l'Escadre 12 deux citations à l'ordre de l'armée.

« Je transmets aux commandants d'escadre les citations que leurs unités viennent d'obtenir par leur courage, leur audace, « leurs sacrifices. En accrochant la fourragère sur la poitrine de tous, ces citations sanctionnent en fin de campagne l'œuvre magnifique des bombardiers de jour. C'est un honneur bien mérité et que le Commandant de la brigade ressent avec la légitime fierté d'être à la tête de cette superbe phalange.

BOMBARDIERS DE JOUR

 Dans les heures les plus graves, vous avez été jetés dans la mêlée, sans souci pour vos pertes, qui furent cruelles, vous avez largement contribué arrêter la marche victorieuse de l'ennemi. Pendant les mois qui suivirent, vous l'avez harcelé sans aucun répit jusqu'à l'heure glorieuse où, battu il dut abandonner le sol national et se rendre à merci.
 Ce sont de belles pages que vous avez écrites, parfois hélas, avec beaucoup de sang. N'oublions pas nos morts !
Au moment où la conclusion de la paix va rendre à leurs foyers beaucoup d'entre vous, votre fourragère formera le lien qui doit vous unir tous, bombardiers de jour, dans le souvenir des équipées aériennes glorieuses et douloureuses."

PREMIÈRE CITATION

« Entraînée par l'exemple magnifique de son commandant, le Chef d'escadron Vuillemin, et de ses chefs de groupes, les Capitaines Petit, de La Morlaix, de Lavergne, constitue par son entrain et son audace, une unité d'aviation redoutable. A maintes fois fait sentir à l'ennemi la valeur de son esprit offensif en le mitraillant et le bombardant près du sol. Du 27 Mars au 27 Mai est intervenue dans la bataille de Picardie, lançant 122 tonnes de projectiles. Du 29 Mai au 7 Juin, a participé aux opérations entre Aisne et Marne, lançant plus de 191 tonnes de projectiles. S'est distinguée particulièrement le 4 Juin en arrêtant dans son germe une attaque allemande, par le bombardement en masse des troupes ennemies rassemblées en vue de l'action dans le ravin de la Savières. Depuis le 15 Juillet, a contribué puissamment à rendre très difficile à l'ennemi le passage de la Marne, lui coupant les passerelles par ses bombes. vigoureusement poursuivi les troupes allemandes dans leur repli, lançant 147 tonnes de projectiles. Au cours de ces diverses opérations, a abattu 43 avions ennemis qui cherchaient à lui barrer la route de ses objectifs. »

DEUXIÈME CITATION

« Magnifique escadre sous les ordres du Chef d'escadron Vuillemin, secondé par le Capitaine Petit, commandant le G.B. 5 (escadrilles B.R. 117, 120, 127), le Commandant Roux, commandant le G.B. 6 (escadrilles B.R. 66, 108 et 111), le Capitaine de Lavergne, commandant le G.B. 9 (escadrilles B.R. 29, 123, 129) et protégée par les escadrilles triplaces de combat R. 239 commandée par le Capitaine de Verchère ; R. 240, commandée par le Capitaine de Durat.
A été engagée sans arrêt depuis le 1er Août 1918 dans toutes les phases de la bataille, y a puissamment fait sentir son action, a rempli ses missions avec un courage et une abnégation sans borne. Jusqu'au dernier jour de la guerre, n'a cessé de poursuivre l'ennemi de ses coups, semant le désordre dans ses rangs et coopérant ainsi avec les autres armes à mettre l'ennemi en déroute. Notamment : le 19 Août 1918, a jeté 37 tonnes de projectiles, abattu sûrement 7 avions ennemis et probablement deux autres ; le 20 Août a fait deux expéditions à-moins de 300 mètres d'altitude et jeté 27 tonnes d'explosifs. Le 12 Septembre, malgré un temps absolument défavorable, a bombardé les cantonnements de la Woevre, coopérant à l'attaque américaine sur Saint-Mihiel ; le 25 Septembre n'ayant pu être employée de jour, a bombardé de nuit des terrains d'aviation ennemie et attaqué des trains ; le 3 Octobre, a effectué trois expéditions dans la journée et abattu 3 avions ennemis ; le 10 Novembre dernier jour de la guerre, a bombardé et mitraillé les convois embouteillés à Mariembourg, pénétrant ainsi, à basse altitude, à 25 kilomètres dans les lignes ennemies.
Au cours de ces opérations, a jeté 611 tonnes de projectiles, tiré 218.000 cartouches, pris 797 clichés photographiques, livré 105 combats, abattu officiellement 41 avions ennemis et désemparé 25 autres. »
A la suite de ces citations, les escadrilles 29, 66, 108 et 111 accrochaient à leurs fanions la fourragère couleur de la médaille militaire.

Landau (Palatinat), le 15 Août 1919.

VUILLEMIN.


Fanion de la Br. 120 (G.B. 5)


Insigne de la Br. 117 (G.B. 5).


Fanion de la Br. 127. (G.B. 5)


Avant le départ


Au_decollage


Fanion de la Br. 66 (G.B. 6)


Fanion de la Br. 111 (G.B. 6)


L'Insigne de la Br. 108. (G.B 6)


Br. 29 (G.B. 9)


Br. 123. (G.B. 9)


Br. 129. (G.B. 9)


Fanion de l'escadrille R. 239 (Protection)    


Fanion de l'escadrille R. 240 (Protection)


Le Commandant Vuillemin remet la rosette au Lieutenant Dagnaux.


(© Documents Jean Pieribattista)