René Fonck
L'as des as
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(source : © Air-Actualités n°414 - octobre 1988 - page 40 à 43 - rédacteur en chef : Lcl Henri Guyot - Auteur : Jean Séguineau de Préval)

René Fonck est le plus grand as des aviateurs de la première guerre mondiale. Sa supériorité sur ses adversaires n'était pas due à des coups de chance ou à des hasards mais bien à sa technique de combat servie par des qualités exceptionnelles.
Mobilisé le 22 août 1914, le jeune ingénieur vosgien, diplômé des arts et métiers, est versé tout de suite dans l'aéronautique militaire à Dijon. Après des classes pénibles au 11e Génie à Épinal, il est enfin affecté en tant qu'élève pilote à Saint-Cyr-l'École le 15 février 1915. Il suit ensuite le cours de perfectionnement de Lyon avant d'attaquer la pratique sur "rouleurs à la base du Crotoy (Somme) où il obtient son brevet de pilote sur Caudron G 4 le 31 mai 1915 (n° 779). Il a tout juste 21 ans. Le caporal René Fonck est envoyé à l'escadrille de reconnaissance à Corcieux (au sud de St-Dié). Désormais, cet orphelin de père depuis l'âge de 5 ans, déraciné d'Alsace par la défaite de Napoléon III en 1870, va pouvoir prendre sa revanche sur les Allemands à sa manière.
 
Le 22 août 1915, il reçoit sa première citation à l'ordre de l'Année pour une reconnaissance périlleuse accomplie sous le feu ennemi. Mais l'action qui donnera naissance à sa formidable carrière a lieu un an plus tard, le 6 août 1916. Ce jour-la, Fonck dans son avion de reconnaissance attaque "deux Rumpler fortement armés, en prend un en chasse par une série de manœuvres audacieuses et habiles et le contraint à atterrir indemne dans nos lignes" (extrait de sa 3ème citation). Il reçoit la Médaille militaire.
L'observateur allemand écumait de rage : il avait en effet dans sa poche une permission qui aurait dû commencer l'après-midi même ! Quant au pilote, il ne peut que déclarer qu'il avait constamment été dominé par le Caudron et qu'il ne pouvait ni s'échapper, ni tenir le Français dans un angle de tir. Ce seront les deux seuls prisonniers que Fonck fera de toute la guerre, les autres "ne voulaient pas venir, alors dame... il était bien obligé de les "descendre" !
Malgré la lenteur des avions d observation qu'il utilise, René Fonck abat en deux ans 2 appareils ennemis en 600 heures de vol, ce qui lui donne son billet d'entrée dans la chasse. Le 25 avril 1917, l'adjudant-chef René Fonck est muté dans le glorieux "groupe des Cigognes" du commandant Brocard.
 
Technique de combat

Bénéficiant alors de la totale confiance de son chef d'escadrille, le capitaine Jean d'Harcourt, Fonck peut, grâce au plus bel appareil de la SPA 103, un Spad VII 180 CV, faire des merveilles. Moins de trois semaines plus tard, il est cité comme as au communiqué des armées pour sa cinquième victoire. Le 12 juin, il abat son premier as allemand, le capitaine Von Baer (12 victoires), en vengeant le sous-lieutenant René Dorme (23 victoires).
Le 30 septembre 1917, titulaire de 15 victoires, il venge le symbole des as de guerre, le capitaine Georges Guynemer en abattant l'oberleutnant Wissenman. Il est nommé sous-lieutenant et fait chevalier de la Légion d'Honneur.
Dans son livre "Mes combats" (Paris 1920), il s'est expliqué sur sa technique de combat : "Je sais me placer dans les angles morts de l'avion attaqué sans engager avec lui un véritable duel. Guynemer combattait autrement et affrontait régulièrement le feu, mais cette tactique est très dangereuse elle met le pilote à la merci d'un enrayage de son arme.
J'utilise toujours les angles morts et suis forcé pour cela de tirer quelle que soit la position de mon Spad mais je m'y suis fait depuis longtemps. Mes rafales sont de huit à dix cartouche au maximum et souvent je n'emploie pas plus de trois balles.
Outre l'avantage d'économiser les projectiles, ce procédé a aussi celui de me faciliter la visée et de réduire les chances d'enrayage ou de rupture de la mitrailleuse. J'ajoute encore que pour obtenir des résultats sérieux, il faut savoir dominer ses nerfs, garder une absolue maîtrise de soi et raisonner froidement les situations difficiles. J'ai eu à faire aux grands as boches ; j''ai eu la patience, en combattant, d'attendre la minute d'énervement. Ce sont là des qualités nécessaires et je répète ce mot que pour devenir un grand as, l'apprentissage est long, difficile, semé de déceptions et d'échecs répétés au cours desquels notre vie est cent fois jouée."
Son chef d'escadrille, le capitaine Jean d'Harcourt, était frappé par les efforts que Fonck faisait pour expliquer à des camarades plus jeunes et moins expérimentés, sa technique de combat. Mais il s'expliquait mal et n'était pas très pédagogue ; les travaux pratiques par contre, c'est-à-dire des patrouilles sous sa direction, étaient d'excellentes leçon, de virtuosité.
 
126 victoires probables
 
L'année 1918 est la préfiguration, au point de vue de la technique de la chasse, des combats futurs. Fonck est un des premiers à comprendre la nécessité de posséder une technique de combat lui assurant la victoire, et certainement celui qui la maîtrise le mieux. Commencée sur le tard, en mai 1917, sa carrière de chasseur va exploser durant l'année 1918.

Pilote au courage froid, possédant une science du combat aérien presque instinctive, Fonck était servi par des qualités physiques et morales tout à fait exceptionnelles qu'il s'attachait méthodiquement à entretenir. Une acuité visuelle et une habileté manœuvrière remarquables lui permettaient de maîtriser le déroulement des combats qu'il savait engager avec un sens tactique développé. Il pouvait placer une balle dans une pièce de dix centimes à 20 mètres de distance. Tireur d'élite, il triomphe de la plupart de ses adversaires en quelques courtes rafales sans jamais avoir été lui-même descendu ni touché par un projectile. En dix mois, il va descendre 56 avions allemands (victoires homologuées).
Le 5 mai 1918, Fonck est promu lieutenant. Quatre jours plus tard. Comme pour remercier le grand commandement de cette marque de confiance, il réalise ce que personne n'arrivera jamais à faire : abattre six avions dans la même journée, le jour de l'Ascension (voir encadré). Un sextuplé qui lui vaut d'être promu Officier de la Légion d'honneur. Il n'avait utilisé que 52 cartouches soit moins de neuf balles par avion ! Triplés, doublés se succèdent rapidement. Tellement vite que Fonck établit le record de vitesse par avion descendu : trois avions en dix secondes ! Les débris de ces trois appareils gisaient à moins de 400 mètres les uns des autres. Le 26 septembre, il renouvelle son exploit en balayant six avions le même jour.
Le 5 octobre, ayant appris la disparition de son ami te lieutenant Roland Garros, il le venge en abattant trois appareils ennemis. Il parachève son tableau de chasse le 1er novembre en signant sa 75ème victoire homologuée, victoires auxquelles il conviendrait d'en rajouter 51 autres (avions tombés dans les lignes ennemies et qui n'ont pu être homologués). Ce qui ferait 126 environ. Le 11 Novembre 1918, il est nommé capitaine. Ses 27 citations dont 25 à l'ordre de l'Armée brillent le long de sa poitrine sur sa Croix de guerre démesurément longue. Le 14 Juillet 1919, il a l'insigne honneur d'être le porte-drapeau de l'aviation française au défilé triomphal de la Victoire.
En juin 1920, il est fait Commandeur de la Légion d'Honneur.
Le colonel Fonck décédera à 58 ans, le 18 juin 1953. Il repose dans son village natal (Saulcy-sur-Meurthe) près de St-Dié.
Auteur : Jean Séguineau de Préval

Bibliographie :
- "Les grandes figures de l'aviation"
- Jean Gisclon : "un remarquable pilote et un tireur d'élite nommé René Fonck" ("pionniers" n° 76 - 1983).
- "tireur délite, Mach I, n° 55-56 1980
- Asp Le Floch "les as de l'aviation" Le Magister 709, n° 23.
Dijon, le 13 mai 1918 : Fonck porte-drapeau


Le Slt Fonck entouré de camarades dont entre autres le Cne Xavier de Sevin


Premier sextuplé du lieutenant René Fonck

9 mai 1918. Il y a 4 jours que Fonck a accroché sa deuxième ficelle. Aujourd'hui il a pris une résolution : porter un coup particulièrement dur à l'aviation ennemie et l'atteindre dans son moral en lui infligeant une leçon sévère. Il a à son actif 67 victoires dont 36 homologuées. Il se fixe une barre follement élevée : abattre cinq avions ennemis aujourd'hui. Réveillé à 4 heures du matin, il arrive à l'aérodrome. Mais le temps trop couvert le fait retourner au bout de 20 minutes de vol. Tout est opaque. Il revient à la base et se recouche jusqu'à midi. Il déjeune longuement. Le menu est excellent.
Il revient sur la piste vers 15 heures. La brume s'est dissipée et le soleil baigne le terrain. Fonck n'espérant plus tenir sa gageure, ne part plus en solitaire mais avec deux coéquipiers.
15 h 40. Ils s'envolent.
16 h 00. Cela fait vingt minutes qu'ils scrutent le ciel au-dessus des tranchées à 4500 mètres. Tout à coup ses yeux perçants remarquent trois points noirs monter du sol ennemi. Enfin ! En quelques secondes il arrête son plan. Il fait demi-tour sur 15 km, revient sur ses pas au ralenti et corrige sa position vers la gauche. Il est exactement placé entre le soleil et la patrouille ennemie. La surprise étant capitale en combat aérien, il faut se faire découvrir le plus tard possible.
Il va leur servir sa manœuvre de prédilection : l'attaque de face de l'adversaire. Dans ce cas de figure, les deux vitesses s'additionnent (les 210 km/h du Spad français et les 155 km/h de I avion de reconnaissance allemand). En deux secondes ils franchissent la distance critique (de 0 à 200 mètres). Le temps d une rafale de 15 balles.
Face à lui, un gros avion de reconnaissance gardé par deux chasseurs biplaces. Il attend qu'ils franchissent les tranchées vers Montdidier.
45 secondes pour un triplé
16 h 20. Fonck met les gaz. Les deux chasseurs éclatent comme prévu. L'avion observateur s’enfuit pour rejoindre ses lignes. Fonck le poursuit en se gardant de ses mitrailleuses. II attaque par-dessous et tire ses balles incendiaires dans les réservoirs allemands qui explosent. L'homme qui servait les mitrailleuses allemandes est projeté hors de la tourelle. Il passe tout près de Fonck. Il est vivant. Il tombe à l'horizontale, bras et jambes écartés, agités de mouvements désespérés, comme pour se raccrocher, saisir à pleines mains le vide, le néant, l'impossible.
Et Fonck, voyant tomber, avec ses hideux mouvements de nageur, cette silhouette d'un homme qui fut courageux, ferme les yeux et du fond de son cœur qu'il s'efforce de cuirasser contre toute faiblesse, lui adresse l'adieu suprême.
45 secondes de combat pour un merveilleux triplé. Il est 16 h 21.
Les Allemands vont réagir et occuper le ciel par orgueil. Mais pas avant une heure. Fonck revient sur la base. En bas, les deux équipiers n'ont pas besoin de relater l'événement. Tout se sait. Dans les tranchées, les bases, l'État-major, tout le monde exulte. Garros a le privilège d'embrasser le premier ce héros du jour. Chacun y va de sa poignée de main. Mais dès qu'il peut placer un mot, Fonck annonce qu'il ne fêtera pas tout de suite ses victoires. Il rappelle son pari d'en abattre cinq. Il en manque deux. Et dans une demi-heure le ciel sera rempli des superbes croix noires.
17 h 10. Il redécolle. Au bout de quelques minutes, il aperçoit un Albatros très bas. C'est un régleur d'artillerie qui fait l'aller et retour entre l'arrière des lignes et le front du côté allemand. Fonck fait une large courbe et pénètre franchement dans les lignes allemandes. Il profite d'un nuage pour se camoufler et attend le retour de l'Albatros. Trop occupé à faire ses réglages, l'Allemand ne voit pas le Spad en face de lui au sortir du banc de nuage. Une rafale. Le pilote et le passager s'écroulent tous les deux. Leur sang gicle sur Fonck, lorsque celui-ci redresse après leur avoir envoyé ses "pruneaux". Il est 17 h 17. Conformé ont à ses prévisions, le ciel se peuple d'orgueilleux Germains. Aucun n'imagine retrouver Fonck le terrible. La patrouille allemande, alignée sur deux rangs, compte neuf appareils. Un débutant attaquerait le dernier, le plus haut perché. Fonck décide d'atteindre le leader de la patrouille. A 300 km/h, à plein régime, il passe au milieu de la patrouille il loge quatre balles dans la nuque du chef. Les autres par réflexe sont montés en chandelle. Erreur. Le temps qu'ils se mettent à la poursuite de Fonck, celui-ci aura plus de 10 secondes d'avance. Au passage, avant le chef, ses mitrailleuses auront jeté leur dévolu sur un autre avion allemand. Coup double. Il est 18 h 50.
A son arrivée sur la base, les images de ses combats se brouillent. Il pense en avoir abattu 5. Mais non, répliquent ses supporters, c'est un sextuplé. Le 10 mai, le lendemain, il est fait officier de la Légion d'Honneur. Il a 24 ans.


Fonck et son SPAD XIII : la maîtrise du ciel