L’ECOLE DE L’AIR. 

© Article paru dans le numéro hors série 1 /1969 (pages 151 à 167) de la Revue Historique des Armées [Auteur : Général de division aérienne Grigaut (*)] 

Le meeting historique de Bétheny et la traversée du Pas-de-Calais par Louis Blériot avaient enthousiasmé les Français. Après celui des ballons dirigeables l'emploi des aéroplanes par les Armées est alors envisagé, et en 1909, le général Brun, ministre de la Guerre, décide d'acquérir ces nouvelles machines.

Le Génie et l'Artillerie, qui revendiquent séparément la mission de créer l'aviation militaire, en sont chargés conjointement. Tandis que le commandant Estienne est nommé directeur de l'établissement militaire d'aviation de la Maison Blanche à Vincennes, un certain nombre d'officiers, issus de régiments d'Artillerie, du Génie, d'Infanterie ou de Chasseurs, font connaître leur candidature comme élèves pilotes. Ces premiers aviateurs militaires sont affectés aux diverses écoles civiles qui fonctionnent alors en France : les écoles Henri Farman et Antoinette au camp de Châlons, les écoles Louis Blériot et Wright à Pau. Ils y apprennent le maniement des appareils acquis par l'Etat et deviennent ensuite instructeurs.

A cette époque il s'agit seulement d'une formation technique particulière, qu'exige un matériel de guerre nouveau, et non une éducation militaire, déjà acquise par ces officiers dans leurs Armes respectives. Mais la guerre de 14-18 accélère la constitution d'une Armée de l'Air autonome. Dès lors, le problème du recrutement direct se pose. En effet, la nouvelle Armée ne peut plus se contenter de cadres formés dans des écoles d'application très spécialisées et, qui plus est, géographiquement dispersées. La naissance d'une grande Ecole militaire qui lui serait propre devient indispensable.

Ouverte en 1935, l'Ecole de l'Air se forge très vite une personnalité et s'impose malgré d'innombrables difficultés. Mais à peine née elle est particulièrement éprouvée par le drame national de 1939-1945. Contrainte à de multiples déplacements, elle semble parfois menacée de désintégration. Mais elle survit à ces difficultés et dès la libération, elle retrouve, puis affirme sa position dans la communauté des «grandes écoles». La célébration solennelle de son trentenaire en 1965 apparaît à cet égard comme la consécration d'un passé déjà riche de tradition et de gloire. 

I. LES ECOLES DE PILOTAGE. 

1. De 1909 à 1914.

En juin 1910, tous les aviateurs militaires poursuivent leur instruction au camp de Châlons où la plupart des constructeurs sont venus s'installer. Le 11 juin de la même année, le général Roques, directeur du Génie, annonce que tonte l'aviation passe au service du Génie. Elle a alors pour chef un artilleur, le lieutenant-colonel Estienne. Bientôt le colonel Hirschauer prend le commandement de toutes les troupes de l'Aéronautique, et, en décembre 1910 est créée l'Inspection Générale avec pour chef le général Roques.

Pour l'instruction, les appareils utilisés sont : le Blériot II (type traversée de la Manche), l'Antoinette, le Wright et le Farman (type record mondial de durée et de distance). La formation d'un pilote demande environ cinq mois : apprendre à rouler, accomplir des bonds de 50 à 100 m, exécuter des vols en ligne droite, puis des virages, faire  des tours de piste, etc... A la fin de son stage, le pilote passe le brevet de l'Aéro-Club de France, seul brevet existant.

Les Ecoles du camp de Châlons se développent et la «cinquième arme» fait son apparition en tant qu'unité aux grandes manœuvres de Picardie du 9 au 18 septembre 1910. Pour la première fois fonctionne dans une armée un service complet d'aéronautique. C'est en quelque sorte la naissance de l'Armée de l'Air. Cette nouvelle Armée compte, au 1er novembre 1910, environ quarante pilotes brevetés. Elle se développe pendant les années suivantes pour atteindre au moment de la déclaration de guerre une centaine d'avions formant 23 escadrilles. 15 dirigeables et 4 000 personnes dont 200 pilotes. Au début des hostilités,

les écoles de pilotage doivent fermer leurs portes pour libérer le personnel instructeur indispensable à la formation d'escadrilles. Les 134 pilotes qu'elles ont pu former d'août à décembre 1914 ne permettent pas de combler les lourdes pertes alors qu'un accroissement des effectifs est nécessaire. Le problème du recrutement se pose. Les écoles sont réorganisées pour former de nouveaux pilotes. 

2. La réorganisation de 1917.

Pour devenir pilote, le nouvel aviateur recruté uniquement dans les autres armes, doit en faire la demande au Ministre de la Guerre. Le candidat 'retenu est convoqué à un premier examen médical et en cas de succès, envoyé à Dijon pour en subir un deuxième plus poussé. Puis, après un mois de cours théoriques, il doit subir un examen avant d'être affecté soit à Tours, le Crotoy, Juvisy ou Buc pour le pilotage du Caudron, soit à Chartres ou Etampes pour le Farman, soit à Avord ou Ambérieu pour le Voisin, soit enfin à Pau pour le pilotage d'avions rapides.

Dans sa nouvelle école, l'élève commence à voler comme passager puis passe en double commande et se trouve enfin seul à bord d’un avion dit «rouleur» dont les ailes ont été rognées pour l'exercice de contrôle au sol. Deux mois après ces nouveaux débuts vient le moment tant attendu et parfois aussi tant redouté du vol «solo». Dans le mois qui suit, l'élève passe un brevet militaire (instauré au début de 1911) : une heure à deux mille mètres, trois parcours différents de 100 km chacun et enfin une spirale réglementaire. L'élève est alors breveté caporal et peut porter sur le col de sa vareuse la déjà fameuse étoile ailée.

Le nouveau pilote n'en a pas pour autant fini avec son entraînement; il reste encore l'école de perfectionnement à Avord, Châteauroux ou Ambérieu où il acquiert un complément de formation sur avion de guerre. A l'issue de ce stage, les plus doués sont envoyés à Pau à l'école de chasse où ils pilotent les Blériot, Morane et Nieuport. Leur entraînement se termine par le tir à Cazaux. Enfin, ils se retrouvent en réserve générale à Plessis-Belleville où ils passent un mois à s'entraîner intensément sur le type d'appareil qu'ils auront au front. C'est ainsi qu'en 1917 se recrutent les pilotes de la «5° arme». 

3. L'après-guerre et la naissance de l'Armée de l'Air.

L'armistice survient, trouvant la Force aéronautique française au faîte de sa puissance, forte de 11 836 appareils entretenus et piloté,. par 150 000 hommes en service actif. Malgré son importance, cette force n'a pas encore obtenu son autonomie puisqu'elle est toujours rattachée au commandement de l'Armée de l'Air. Après une longue période d'hésitations, de réorganisation, le 8 décembre 1922, l'aéronautique militaire devient enfin une armée autonome et en septembre 1928 intervient la nomination du premier ministre de l'Air. En janvier 1929 sont créés l'Etat-Major de l'Armée de l'Air et de l'Administration Air.

C'est alors que vont être pleinement posés les problèmes de recrutement et de formation des personnels. Il faut noter toutefois que cette question du recrutement avait été partiellement résolue par une Instruction provisoire du 30 mai 1921. En effet, cette décision instituait à Versailles (aux Petites Ecuries) un Centre d'Etude de l'Aéronautique chargé de perfectionner des officiers qui se destinaient à l'aéronautique et. aussi de faire connaître aux officiers des autres armes ses techniques et ses méthodes d'emploi. Ainsi en 1923, les sous-lieutenants issus de Polytechnique ou de Saint-Cyr se destinant à l'Aviation sont versés dans l'aéronautique dès leur sortie d'école et font un stage d'application aux «Petites Ecuries». L'année 1925 est celle des transformations : le 23 novembre se crée l'Ecole Militaire de l'Air pour les sous-officiers désirant devenir élèves-officiers d'aéronautique, puis le mois suivants le Centre d'Etudes de l'Aéronautique devient «l'Ecole Militaire et d'Application de l'Aéronautique» chargée de l'instruction des sous-officiers élèves-officiers et des sous-lieutenants sortant de Polytechnique ou de Saint-Cyr (Ecole d'Application). Au cours de leur stage de deux ans, ces sous-lieutenants obtiennent à Avord leur brevet de pilote et leur brevet d'observateur, puis font un stage de tir et de bombardement à Cazaux.

II n'est pourtant pas encore question de recrutement direct. Il faut, pour en voir apparaître la première forme, attendre le 17 février 1930 qui voit naître, toujours aux «Petites Ecuries», l'Ecole de Recrutement direct des Officiers Mécaniciens de l'Aéronautique. Enfin, un décret du 3 juin 1933 crée l'Ecole de l'Air pour le recrutement direct des cadres navigants.


II. - LA NAISSANCE D'UNE GRANDE ECOLE
 

1. Le Centre Ecole de l'Air de Versailles-Villacoublay.

Le principe de l'Ecole de l'Air est ainsi reconnu, mais il faut attendre deux années avant que la première promotion se présente aux «Petites Ecuries» de Versailles (1). Dans l'esprit du commandement cet emplacement est provisoire car on pense déjà à Salon-de-Provence. Pour cette grande première, le commandement a tenu à donner à la nouvelle école un Directeur prestigieux : le général Houdemon. Cavalier sorti de Saint-Cyr passé par Saumur, héros de la guerre 1914-1918 au cours de laquelle il est plusieurs fois blessé, il saura mettre tout son cœur et toute son expérience dans l'énorme tâche qu'est la mise sur pied d'une telle école.

La première promotion intègre le 4 novembre 1935. Elle se compose de cinquante élèves pour la plupart anciens de Saint-Louis, de Sainte-Geneviève ou de la Flèche. Les bâtiments qu'ils découvrent sont vétustes, les installations très sommaires et dépourvues du panache des autres grandes écoles de Saint-CrI' ou de Polytechnique. L'Air n'aura qu'une caserne à partager avec d'autres armes. Par la force des choses, les traditions n'existent pas, l'Ecole est sans âme, tout est à créer. La promotion commandée par le commandant Mairey, puis par le lieutenant-colonel Barjaud se divise en trois brigades : les «lions», emmenés par les capitaines Emery puis Cornu, les «pénibles» avec les capitaines Moulignat puis Turben et les «bas bretons» (à cause du nombre de noms en «ec» qui la composent) avec les capitaines Gros puis Vladimir de Bertrem. C'est cette première promotion qui. tout naturellement, prendra comme parrain le capitaine Guynemer «héros légendaire tombé en plein ciel de gloire...». En tant que premiers admis, les élèves-aviateurs ne sont pas baptisés; ils s'attachent plus particulièrement à créer un esprit d'école et cherchent à reprendre les meilleures traditions de Navale et de Saint-Cyr pour donner à leur école les premières bases de ce qui deviendra plus tard 1'«Esprit du Piège».

C'est ainsi qu'est introduit dans l'école, parallèlement à l'esprit militaire, celui du scoutisme fort à la mode à cette époque. Des réunions de «promo» sont organisées et le sentiment communautaire se développe. Un chant d'école est trouvé : «Les Rapaces», refrain d'escadrille de 1914 remis à la mode par le cinéma. Un insigne est dessiné : le «Charognard» offrant à ses petits encore au nid le poignard d'officier. Il est créé par le frère de Le Blevec. Et enfin, la très fameuse devise «Faire face» vient s'inscrire au fronton de l'Ecole.

Tout en s'ingéniant à créer l'âme de leur Ecole, les élèves en suivent aussi les cours : instruction générale et militaire, vols d'observation et de navigation sur Potez 25 et Lioré 20 jusqu'en mars 1936. A cette date, commence le stage de pilotage au camp d'Avord. Il durera jusqu'en août; les appareils utilisés seront les Morane 315 et 230 ainsi que le Potez 25 devenu «Avion d'armes». L'hiver est passé de nouveau à Versailles où l'on continue à voler comme observateur, mitrailleur, bombardier et navigateur. L'entraînement au pilotage se fait toujours à Saint-Cyr sur Potez 540. Puis différents stages vont se dérouler d'avril à août 1937 : école à feu et entraînement à la coopération d'artillerie à Orléans-Saran, manœuvre et navigation à Mourmelon, tir et bombardement à Cazaux.

Après cette longue période d'entraînement et de cours, les élèves subissent leur examen de sortie. Promus sous-lieutenants, une déception les attendait puisqu'il n'y eut pas d'affectation directe dans la chasse. Deux voies leur sont offertes, soit retourner à l'Ecole en tant qu'instructeur et bénéficier ainsi des cours de perfectionnement qui y sont donnés, soit rejoindre à Istres, le groupe IV, pour un stage de pilotage sur bimoteurs (Léo 20, Amiot 143 et Bloch 200).

En 1936, avant que la «Guynemer» ne termine son instruction, la deuxième promotion, «Capitaine Astier de Vilatte», forte de quatre vingt navigants et quatre mécaniciens entrait à l'Ecole. Ces nouveaux élèves baptisés du nom de «poussins» seront les premiers à expérimenter les traditions de l'Ecole : le «bahutage» organisé par les «anciens» et le baptême à Villacoublay où le major des anciens, Delattre, arrose du haut d'un Potez 25 la nouvelle promotion à genoux, engoncée dans des tenues de vol en cuir, chantant «Les Rapaces». Le cours de son instruction sera semblable à celui de la «Guynemer». Elle marquera son passage à l'Ecole en-y instaurant deux nouvelles traditions : la croisière et la sainte prudence.

La «croisière» se fit du 1er au 15 septembre 1938 de Villacoublay à Gabès par Marseille, Bastia et Tunis. Elle dût être écourtée à la suite de la première alerte de Munich.

La «sainte prudence» doit son nom au chef de la promotion, le commandant Paille, célébre pour recommander jusqu'à satiété la prudence à ses élèves. Il ne pouvait se douter que trente ans après on fêterait encore cette grande «sainte» avec un cérémonial que chaque promotion tient à améliorer. Cet anniversaire, remarquable par le fait qu'il ne tombe jamais le même jour, permet aux élèves de mettre l'école sens dessus dessous et de s'en prendre à l'encadrement qui n'en est informé qu'au tout dernier moment. De toutes les traditions, c'est certainement la plus ancienne et la plus respectée. Toujours avec le même souci d'imposer leur Ecole parmi les «grandes écoles», les élèves vont la représenter au défilé du 14 juillet 1936. Paris, pour la première fois, voit côte à côte les quatre grandes Ecoles militaires. La même année, son premier bal à la Maison de la Chimie lui permet de prendre place dans la vie parisienne; Albert Lebrun, Président de la République, assiste à la soirée, accompagné de Marcel Déat, Secrétaire d'Etat à l'Air, et du général Houdemon, commandant de l'Ecole.

C'est dans le même esprit que sort la première revue de l'Ecole intitulée du nom mystérieux de «Focam 37» : «Revue bâclée en deux actes, dix tableaux et une anticipation ", dans laquelle l'aspirant Lecerf exerce ses talents de dessinateur pour croquer les instructeurs. Le mot de «Focam» désignera par la suite les faux bruits ou fausses nouvelles, puis les poussins tout de blanc vêtus décriront des «Focams» et, enfin, l'amphi «Focam» sera destiné à accueillir les poussins... 

2. Salon-de-Provence 1937.

(voir photos en fin de page)

Alors que les traditions s'instaurent, des décisions sont prises qui changeront la vie de l'Ecole : c'est d'abord le choix de Salon-de-Provence pour devenir le berceau des nouvelles générations d'officiers de l'Air. Le 15 novembre 1937, la nouvelle vague de «poussins» s'envole vers le ciel lumineux de Provence.

En cette fin d'automne 1937, la promotion «Commandant Mézergues» s'installe dans ce qui n'est qu'un vaste chantier. La vie s'organise. Tant bien que mal : tout le personnel loge à Istres pendant les premiers mois. L'ambiance est extraordinaire et tout fait croire à des vacance" ininterrompues... L'organisation de la nouvelle Ecole est confiée au colonel Bonneau qui, pendant trois années, présidera à l' édification de «Salon». Au début de 1938, les baraques «provisoires» sont enfin terminées : elles resteront en place pendant trente ans...

En ce qui concerne l'instruction des élèves, le commandement organise les cours, la plus grande initiative lui étant laissée en ce domaine. Les ateliers techniques sont installés les uns après les autres : moteurs, photo, bombardement, etc... L'instruction en vol se fait sur Potez 25 d'une façon assez peu soutenue. On vole en effet moins qu'à Versailles. et surtout en tant qu'observateur. L'Ecole rencontre une très grande compréhension de la part des Facultés de Marseille et d'Aix, aussi bien en sciences qu'en lettres, témoin le remarquable cours de droit aérien du professeur de la Pradelle.

Les élèves étaient déjà aviateurs dans l'âme; il fallait en faire des officiers. Le colonel Bonneau prescrit une stricte discipline, une instruction militaire poussée et une solide formation morale de l'officier. Un soin particulier est apporté à la tenue et au sens de l'uniforme; les élèves sortent en ville en grande tenue, gants blancs et poignard. L'encadrement est assuré par des anciens qui veillent à la continuité des traditions de Versailles : le bahutage cette année-là revêt un caractère tout particulier. Le baptême est donné aux poussins par leur parrain, l'aspirant Lecerf. Le programme de l'Ecole suit son cours : juin 1938, Cazaux, septembre 1938, Avord pour le pilotage puis un rapide passage aux «Petites Ecuries» et Saint-Cyr pour y continuer le pilotage, enfin, l'examen de sortie en juin 1939.

En septembre 1938, le Piège reçoit un autre contingent de poussins. ceux de la future promotion «Mailloux». ns sont cent vingt-sept; on avait prévu pour eux deux années complètes de stage à Salon, à l'issue desquelles ils devaient aller directement en formation. On organise donc des cours de pilotage de début sur Morane 315 et 230. Les poussins commencent leurs premiers vols d'élèves-pilotes en même temps qu'ils poursuivent leur instruction d'observateur, à la cadence d'une demi journée de cours et d'une demi journée d'instruction en vol par jour.

Le 30 octobre, les poussins sont baptisés selon un cérémonial déjà très au point et ce sera ensuite la grande date de l'Ecole : le 25 février 1939, le général Vuillemin, chef d'Etat-Major, remet son drapeau à l'Ecole au cours d'une prise d'armes mémorable. .

L'année scolaire se termine le 17 juillet 1939 par le «Grand Zef». Tout est mis en oeuvre pour la réussite de cette grande fête, dont le nom évoque les vents de Provence. Elle commence par une prise d'armes au cours de laquelle le colonel Bonneau reçoit la cravate de commandeur de la Légion d'Honneur des mains du général Mouchard. Puis vient le moment de la fête aérienne avec présentation d'avions et démonstration de la Patrouille de neuf MS 225 du capitaine Fleurquin. Ensuite, les poussins rééditent 1'«Enlèvement des Sabines» en y ajoutant toutefois un instrument moderne : l'avion. Et c'est le baptême de la promotion par le colonel Bonneau. La fête continue ensuite par un dîner en musique dans un hangar décoré où se trouve la piste de danse ; elle dure jusqu'à l'aube. Les organisateurs Grimpel et Martin avaient bien fait les choses... C'était là le dernier moment de joie insouciante avant la tragédie naissante : deux mois plus tard, c'était la guerre. 

III. LA PERIODE DE LA GUERRE 1939-1945. 

1.  L'éparpillement et la dissolution de l'Ecole le 31 août 1940.

La période qui s'ouvre en août 1939, avec la mobilisation, va voir l'Ecole de l'Air condamnée au nomadisme et ses promotions à la dispersion. La «Mailloux» se replie sur Bordeaux. Mais si la base de Mérignac permet de loger le personnel, le terrain déjà très encombré ne peut être utilisé pour l'entraînement au pilotage de début. Trois bases annexes sont alors créées à Bergerac, Mont-de-Marsan et Landes de Bussac.

Malgré la grande incertitude du lendemain, et la dispersion des élèves, ceux-ci poursuivent leur instruction au sol à un rythme accéléré. Le 2 septembre, la «Mailloux» reçoit son galon de sous-lieutenant, soit un an seulement après son entrée au «Piège». Les élèves font un peu de pilotage et passent leur brevet à la mi-décembre pour être ensuite partagés en deux groupes : les chasseurs à Mérignac, et les pilotes de bimoteurs à Mont-de-Marsan tandis que quelques autres sont désignés pour encadrer les poussins de la nouvelle promotion. A Mérignac, l'entraînement se fait sur Romano 82, où l'on doit déplorer plusieurs accidents dont certains furent mortels; la guerre reste encore bien loin pour tous ces jeunes pilotes, mais l'incorporation de la nouvelle promotion va amener un peu de vie à l'Ecole. Les poussins intègrent au mois d'octobre; ils sont deux cent vingt-neuf, ce qui donnera bien du travail aux anciens chargés de faire leur éducation. Ils seront répartis en quatre brigades de deux pelotons chacune : deux brigades constituées par les futurs chasseurs, et les deux autres par les bombardiers, la sélection ayant été faite en fonction du rang d'entrée à l'Ecole. Après une période d'instruction militaire de trois mois, émaillée de quelques cours de formation technique, ils seront répartis en deux groupes en janvier 1940 : les futurs chasseurs à Bussac pour y commencer le pilotage sur Morane 315 et Hanriot 182, les bombardiers à Mérignac pour y suivre le stage d'observateurs sur Potez 25 et Potez 540 puis commencer le pilotage au camp de Sousse sur Morane 315. En avril cette partie de la promotion rejoindra à Mont-de-Marsan quelques anciens de la «Mailloux» et y poursuivra son entraînement.

Dès le 21 octobre 1939, les poussins avaient reçu la garde du drapeau de l'Ecole et le 22 décembre la promotion avait été baptisée du nom du «Lieutenant Pinczon du Sel», l'un des tous premiers officiers de l'Ecole de l'Air tombés au champ d'honneur.

Le 13 avril 1940 tous les aspirants avaient été nommés au grade de sous-lieutenant, soit un peu plus de six mois après leur entrée à l'Ecole.

Juin 1940 : la promotion est à nouveau réunie à Bordeaux. Le 18 juin, le colonel Bonneau reçoit l'ordre de repli vers l'Afrique du Nord. Alors qu'il s'envole vers Oran reconnaître un emplacement possible, les élèves se dirigent vers les quais de la Garonne afin de s'embarquer... ce qu'ils ne pourront faire, le bateau prévu à leur usage ayant été requis par d'autres passagers «officiels» désireux aussi de rejoindre l'AFN. L'Ecole se retrouve, dès lors, au milieu de la débâcle générale, sans chef et avec un encadrement très réduit. Alors que quelques élèves tentent, avec plus ou moins de succès, de rejoindre l'Angleterre, toute la promotion ou presque est acheminée vers le Roussillon. Une première tentative d'installation est faite dans un ancien camp de réfugiés espagnols mis à leur disposition à Argelès-sur-Mer. Mais l'état en est tel que son utilisation se révèle impossible. C'est alors que l'aumônier de l'Ecole, Dom Buenner obtient les pavillons d'une colonie de vacances à Port-Vendres. De là, plusieurs élèves vont pouvoir rejoindre l’Angleterre ou l’Afrique du Nord. Pour les autres, et grâce encore une fois à  l’aumônier, ce sera un nouveau déménagement vers Collioure où la Marine a mis à la disposition de l’Ecole de l’Air  le château des Templiers. Elle y restera jusqu’au 15 août 1940 sans espoir de rejoindre jamais l’Afrique, l’armistice ayant été signé. Après un bref retour à Salon, l’Ecole sera tout simplement dissoute, le 31 août 1940. 

[Journal Ecole de l'air 27/8/1939 / 17/06/1940 ]

2. La clandestinité et le retour à Salon le 1er octobre 1941. 

En novembre 1940, les sous-lieutenants de la «Pinczon du Sel» sont rappelés dans les unités de l'armée d'armistice en France ou en Afrique du Nord. Répartis en plusieurs groupes, ils suivent un stage de trois mois organisé dans différents centres : Marrakech, Rabat, Meknès, Oran, Sétif, Istres ou Montpellier. Ils sont pour la plupart entraînés comme observateurs, navigateurs, bombardiers sur Léo 45, Potez 63, DB 7 ou Glenn Martin.

Cependant, un autre problème se pose : il s'agit d'incorporer les candidats reçus au concours de 1940. Malgré la convention d'armistice, le général Bergeret, chef d'Etat-Major de l'Armée de l'Air, replié à Toulouse, a décidé de recruter de nouveaux élèves-officiers. L'examen s'est déroulé dans le plus grand secret en zone libre et en Afrique du Nord. Le 2 décembre, les cinquante-deux admissibles sont convoqués par télégramme pour passer l'oral à Montpellier. Finalement trente-neuf élus sont prévenus, de façon souvent clandestine, que leur incorporation se ferait à la base de Toulouse-Francazal le 1er avril 1941. Entre temps, le commandant Archaimbault, qui commande le groupe de chasse 2/5 en Afrique du Nord, a été chargé de monter cette Ecole clandestine. Il l'installe au château de Bellevue, sur la route de Carcassonne. Là, sous la ferme discipline qu'il sait imposer, les élèves suivent une instruction très complète, du moins dans le domaine militaire et technique. Pour la formation en vol, le problème est plus difficile et les élèves ne parviennent à effectuer que quelques vols en qualité de civils. Mais il reste l'espoir de retrouver un jour le «Piège» de Salon et ce jour arrive le 1er octobre 1941.

Le 6 décembre 1941 a lieu le baptême de la nouvelle promotion «Lieutenant Steunou», dans une atmosphère toute particulière en présence du général Bergeret, secrétaire d'Etat à l'Aviation, du général Romatet, major général de l'Armée de l'Air, du général de Geffrier. commandant la première région aérienne, du général Préaux, commandant l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr repliée à Aix-en- Provence et de Mgr du Bois de la Villerabel, Archevêque d'Aix. Après la présentation au drapeau, c'est la remise des poignards aux élèves devenus Aspirants et l'éloge du parrain de la promotion par le major de la «Pinczon du Sel». .

Malgré les événements, un concours d'entrée a pu avoir lieu en septembre 1941 et une nouvelle promotion va intégrer en février 1942. Ceux de la»Steunou» vont l'encadrer et lui inculquer les traditions du «Piège». La vie de l'Ecole reprend bon train. De nouvelles formes de bahutage sont mises au point, un autre chant de marche est écrit : «Race d'aiglon» qui sera lancé par André Pernet le 9 septembre 1942 à l'Opéra de Marseille, Puis, selon l'usage, la dernière promotion est baptisée. Elle reçoit le nom du «Commandant Dagnaux». Et déjà une autre promotion se présente : la «Commandant Tricaud» qui, elle. n'aura droit qu'à un seul vol d'initiation sur Farman 222, toutes ses journées étant consacrées à l'instruction militaire et à quelques cours de mathématiques et d'aéronautique. 

3. La France occupée, l'Afrique du Nord et les Etats-Unis.

En novembre 1942, les Allemands occupent la «zone libre». Dans l'immédiat Salon est épargné, la vie du «Piège» continue dans une fièvre d'évasions. Des plans de départs vers l'Afrique, en avion ou en bateau, individuels ou collectifs sont ébauchés, mais des armes automatiques sont mises en batterie devant les hangars d'avions, tandis que les troupes allemandes déferlent sur la N. 113 à l'Ouest du terrain. Le 27 novembre, la base est cernée, et vers cinq heures du matin les élèves sont réveillés dans les chambres des nouveaux bâtiments du «Grand Piège» par les troupes allemandes. Ordre leur est donné de déposer leurs armes au pied de l'escalier de la salle des marbres. Réunis dans l'amphithéâtre Clément Ader, l'Ecole écoute une courte allocution du général de Sevin, qui, surveillé par un officier allemand revolver au {>oing, lui demande de rentrer calmement dans ses foyer! et de se plier aux consignes de l'occupant. C'est une nouvelle débâcle. Salon est évacué, le drapeau est emporté pour être camouflé.

Rentrés chez eux, les élèves cherchent une occupation. Certains entrent dans les écoles civiles, sur titre, comme leurs camarades de Navale, d'autres s'inscrivent à Sup Elec ou à Sciences Po de Paris. D'autres encore vont à Sup Radio de Lyon. D'autres enfin font les Mines à Saint-Etienne. Ceux qui restent seront bientôt réunis par le commandement de l'Ecole : en janvier 1943, ils sont convoqués pour «Jeunesse et Montagne». .

Le mouvement «Jeunesse et Montagne» était né de la défaite de juin 1940. Suivant les directives du général Bergeret et du général d'Harcourt, tous les jeunes disponibles par suite de l'interdiction de toute école militaire sont recueillis et installés dans des villages alpins, encadrés par les meilleurs guides de montagne sous la responsabilité du capitaine Faure, ancien officier de l'équipe de France de ski. Le but de ce mouvement était de donner à cette jeunesse des raisons d'espérer et de préparer son engagement dans des actions futures en la gardant rassemblée. Le 18 janvier 1941, une loi créait les «Chantiers de la Jeunesse» appelant tous les Français de vingt ans pour un service de huit mois. TI fut admis que le groupement «Jeunesse et Montagne» constituerait la branche «Air» de cette institution sous la responsabilité directe du général d'Harcourt devenu directeur de l'Aéronautique civile au Secrétariat Général de la Défense Aérienne. En 1942, le mouvement comprenait près de quatre mille cadres et volontaires répartis dans les chalets des Alpes et des Pyrénées.

Les élèves de l'Ecole de l'Air sont donc admis comme «volontaires». La majorité des convoqués de 1943 est envoyée dans les Alpes à Ancelle, Saint-Bonnet-sur-Champsaur et à St-Etienne-en-Devoluy... des noms que la plupart des élèves entendent pour la première fois. Les Méridionaux du Sud-Ouest sont dirigés sur les Pyrénées, à Luchon, puis au camp de Maurac, au Sud de Toulouse, d'où ils rejoindront plus tard les Alpes... La vie s'organise dans les différents centres, vie de plein air faite d'excursions en montagne, de séances de ski, de construction et d'entretien des camps, de corvées, etc... jusqu'au mois de mai qui voit enfin toute la «Tricaud» réunie dans le Dévoluy. Cette promotion, la dernière rentrée au «Piège», va enfin pouvoir recevoir une formation de cadre et acquérir une certaine homogénéité, mais dans la journée du 29 mai 1943, le capitaine Jacquard, ancien instructeur de Salon, vient annoncer le départ pour Sainte-Livrade-du-Lot. La classe 42 en effet tombe sous le coup du S.T.O.; le commandement décide donc de faire abandonner «Jeunesse et Montagne» par le~ élèves de l'Ecole de l'Air et de les incorporer dans les bataillons de Défense Passive où il devrait être plus facile de les conserver en France. C'est un nouveau voyage pour les élèves vers Sainte-Livrade où arrivent soixante-cinq d'entre eux. Onze manquent à l'appel. Ils sont partis pour l'Afrique ou l'Espagne. Certains qui échouèrent dans leurs tentatives de passage se retrouveront dans les camps allemands, tels Arnold et Longuillon. Le reste de la promotion s'installe et intègre alors les .bataillons de Défense Passive, prétexte qui devait servir de couverture au capitaine Maury chargé d'instruire la «Tricaud» sur les problèmes de culture générale et la technique aéronautique. Mais encore une fois, la réalité devait être bien différente. En effet, le gouvernement décide qu'il n'y aurait plus d'exception à l'envoi de travailleurs français en Allemagne, et le capitaine Maury se voit alors chargé d'annoncer la nouvelle aux élèves. Le 7 juillet, vers neuf heures du soir, devant la promotion rassemblée dans une baraque, il fait part de la décision gouvernementale, du départ probable pour l'Allemagne, ce qui provoque /la consternation générale... On décide malgré tout de baptiser la promotion afin que, «quoi qu'il arrive, on puisse toujours compter sur l'Ecole de l'Air...». Le baptême a lieu le lendemain soir 8 juillet 1943 sur la place d'armes du camp. Un seul élève est revêtu de la tenue bleue et porte le poignard. Les autres ont la seule tenue de leur paquetage chemisette bleue, short blanc, ceinturon, souliers et chaussettes blanches roulées. Le sous-lieutenant Dieudonné, ancien de la «Dagnaux» procède à la cérémonie en s'adressant à l'élève en tenue symbolisant toute la promotion. Puis le capitaine Maury prononce un discours qui devait rester gravé dans la mémoire de ceux qui l'écoutèrent.

Le 10 juillet 1943, vingt poussins de la classe 42 partent en permission pour trois semaines, d'autres prennent le maquis... Mais grâce aux efforts du général Garayon, le départ en Allemagne n'aura pas lieu et le reste de l'été se passe avec un excellent moral, sous les ordres des anciens de la «Dagnaux».

En janvier 1944, nouveau déménagement; la «Tricaud» est envoyée à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne. Certains élèves préfèreront tenter la fuite vers l'Afrique ou rejoindre le maquis. Quant aux autres. Les deux tiers de la promotion, rien n'est prévu pour leur accueil. Ils sont officiellement élèves de l'Ecole à Saint-Etienne. Mais en fait, la promotion reste groupée sous les ordres du lieutenant Salva, pour suivre les cours de l'Ecole de l'Air. Cette situation durera six mois. Juin devait être le mois des examens, mais les bombardements sur la ville deviennent de plus en plus violents. Le 26 mai surtout, Saint-Étienne est particulièrement éprouvée : les poussins travaillent avec un dévouement magnifique dans les équipes de Défense Passive pendant six jours... Les fameux examens auront tout de même lieu..., on n'en saura jamais les résultats. Sur ce, quarante-cinq jours de permission vont permettre à chacun d'agir à sa guise.

L'Ecole va une nouvelle fois changer de cieux. Après le débarquement allié en Afrique du Nord, le commandement décide de recruter une promotion de l'Ecole de l'Air. Des préparations sont ouvertes à Casablanca et Miliana. Les candidats au concours qui s'ouvre en 1943 sont à la fois des étudiants originaires d'Afrique du Nord et des réfugiés de la Métropole : il y aura quarante et un admis. La promotion se retrouve le 17 juillet 1943 à Marrakech, et l'Ecole ouvre le 20 juillet. Elle sera dirigée par le commandant Dartois alors que la personnalité du commandant Michaud marquera les élèves : polytechnicien, évadé de France par l'Espagne, il prend le commandement des brigades avec une autorité toute particulière; excellent pédagogue, il est aussi un aviateur qui se fera remarquer par le bombardement, seul aux commandes d'un B.26, du pont de Neuenbourg à la fin de la guerre, fait. à'armes qui lui vaudra des arrêts de rigueur et une citation.

Les six premières semaines sont consacrées à l'instruction militaire au camp d'Arround, au coeur de l'Atlas marocain. Le grand moment de cette période est sans conteste l'ascension du mont Toubkal (4 167 m), point culminant du Maghreb, en tenue de campagne, y compris fusils et baïonnettes, en plein été africain.

Les anciens maintiennent le contact avec cette promotion africaine : dès juillet, plusieurs membres de la «Tricaud» la rejoignent. Ils vont très vite se charger d'initier les poussins aux traditions du Piège dont ils ont eu à peine le temps de profiter à Salon, avant d'être chassés par les Allemands. C'est eux encore qui vont procéder à la remise des poignards à cette promotion qui prendra le nom de «capitaine de Villaret».

Faute de matériel, les élèves iront aux Etats-Unis suivre leur stage de pilotage, accompagnés du lieutenant-colonel Dartois. Arrivés à Tuscalosa (Alabama), ils éprouvent quelques difficultés; le dépaysement, le changement de méthodes, et la langue ont pour résultat une proportion importante d'éliminés, quinze en tout qui se retrouvent à Graigfield, puis à Big Spring (Texas) en tant que bombardiers, dès juillet 1944. L'esprit du Piège reste malgré tout très vivant et, bien que travaillant sous l'uniforme des cadets de l'U.S. Air Force. Les «poussins» ont droit à la tenue bleue pour leurs sorties.

Pendant ce temps, Marrakech continue. En octobre 1944, le reste de la «Tricaud», qui avait fait le coup de main dans le maquis, arrive au Maroc où elle retrouve la «Tedesco», seconde promotion recrutée en Afrique du Nord, et la «Pomier-Layrargues» recrutée en France dès 1943 et qui attendait depuis dans différentes grandes Ecoles d'ingénieurs. L'expérience acquise à Marrakech va être utile pour la formation de deux nouvelles promotions qui, comme celle de leurs anciens, commenceront leur stage par un séjour au camp d'Arround avec la déjà célébre ascension du Djebel Toubkal. Pendant toutes ces semaines communes aux trois promotions, les anciens de la «Tricaud» s' appliquent à parfaire chez les poussins la formation militaire et l'esprit d'Ecole. Une vie agréable s'est organisée : le commandement, très compréhensif, n'exige pas l'assiduité rigoureuse aux cours, et les élèves fanatiques du vol deviennent de fidèles attitrés de la piste où l'escadrille B-3 les fait voler au hasard de ses missions. Fin novembre 1944. la «Tricaud» part du C.C.P.N. de Casablanca avant de rallier, en février 1945, les Etats-Unis avec la «Tedesco» et la «Pomier-Layrargues». Ces deux dernières sont auparavant baptisées côte à côte le 1er février dans une atmosphère émouvante de simplicité et de recueillement. Le lieutenant-colonel Bezy, commandant de l'Ecole par intérim, annonce dans son discours le prochain retour de l'Ecole de l'Air vers la Métropole.

Aux Etats-Unis, les trois promotions constituent le «19" USA» basé à Graigfield et Selma (Alabama) où ont lieu les cours préparatoires tandis que l'entraînement en vol se fait à Hawthorne-Field et Orangebourg (Caroline du Sud) sur biplace P.T. 13... Les éliminations massives, la séparation chasse-bombardement .finissent par disloquer complètement la promotion. Leurs prédécesseurs, ceux de la «Villaret» et quelques-uns de la «Tricaud» termineront leur cycle complet d'entraînement et rentreront en France en juillet 1945 prêts à être versés en unités...

IV. - EPANOUISSEMENT ET CONSECRATION DE L'ECOLE 

1. Le Collège de Bouffemont et les «Petites Ecuries». 

La Métropole est libérée. Le Piège entend réintégrer les bâtiments de Salon; malheureusement, ceux-ci, à la suite de bombardements, sont inutilisables. Trois solutions sont proposées : un immeuble de la rue de la Faisanderie à Paris, le Collège des Roches en Normandie ou l'ancien Collège de jeunes filles à Bouffemont. C'est ce dernier emplacement qui sera choisi. L'endroit est très beau, le décor champêtre, le confort douillet... Le lieutenant-colonel Bezy est chargé d'organiser cette «Ecole pour jeunes filles de bonne famille» devenue «Ecole Militaire». L'instruction militaire de base se trouve être peu en rapport avec le cadre romantique de l'endroit... Les poussins sauront faire la reconversion qui s'imposait, aidés par leurs chefs, tous anciens du front. Les cours commencent : instruction générale, instruction militaire, cours techniques de navigation, tir, bombardement, radio, etc... puis quelques vols d'accoutumance au terrain de Persan-Beaumont sur Fieseler «Storch» ou Nord 1000 amenés de Villacoublay par les instructeurs. Puis, viennent les vacances de Noël qui devaient marquer la fin de la présence de l'Ecole de l'Air à Bouffemont. La rentrée se fera aux... «Petites Ecuries» à Versailles.

Le 25 janvier 1946, en présence de tout le personnel instructeur de l'Ecole, d'une délégation d'anciens élèves, de quelques représentants du régiment Normandie-Niémen et de nombreuses personnalités, a lieu une importante prise d'armes. La promotion «Préziosi» est baptisée et la «Marin la Meslée» présentée au drapeau. A la suite de cette cérémonie, la «Préziosi» part effectuer un stage à Cazaux, et au printemps, se déplace en Allemagne, reprenant ainsi la tradition des croisières instaurées avant guerre. A son retour, toute l'Ecole est envoyée à Ancelle où elle profite des chalets aménagés par leurs anciens durant l'occupation. Les vacances de neige terminées, c'est un nouveau départ vers Cazaux pour une période de deux mois. 

3. Le retour à Salon en octobre 1946. 

Pendant toute cette période de voyages et de déplacements, les démarches vont bon train pour que l'Ecole puisse regagner Salon. Fin octobre 1946, aspirants, poussins et E.O.A. se retrouvent tous à Salon; si la partie centrale des installations est en bon état, il n'en est pas de même pour le reste de la base. Le terrain lui-même n'est pas aménagé, les routes sont défoncées. Un seul point d'eau au pied du mât des couleurs servira de lavabo... le mess se situe dans une ancienne ferme. Les hangars sud sont à peine utilisables et abritent l'escadrille composée de quelques Morane 315, de Stamp et d'Anson. Mais petit à petit, l'Ecole se reconstruit, les avions réapparaissent, la vie s'organise... Le lieutenant-colonel de Maricourt, remplaçant le colonel Bezy, mort accidentellement en rejoignant Salon, préside à la renaissance de l'Ecole. Dans des conditions matérielles épouvantables il réussira à faire sortir l'Ecole de ses ruines et surtout à faire voler ses élèves à une époque où la France n'a presque plus d'avions d'entraînement. Le 20 octobre 1946, une nouvelle promotion intègre la «Saint- Exupéry». En novembre, la revue «le Piège» inaugure sa longue carrière, publiant la composition du premier bureau de l'Association. Puis, c'est le premier des grands événements : le 14 avril 1947, Vincent Auriol, Président de la République, remet à l'Ecole la Croix de Guerre avec palmes. Presque tous les anciens ont tenu à assister à la cérémonie, la première de cette importance à Salon depuis le «Grand Zef» de 1939. La «Commandant Thollon» intègre à son tour. Le 3 avril 1948, c'est le baptême de la «Saint-Exupéry» au cours duquel M. Maroselli remet solennellement à l'Ecole la fourragère du capitaine Guynemer.

Salon, dès lors, semble avoir trouvé son rythme et, malgré la pénurie, les élèves ont quelques avions pour s'initier au pilotage. La «Saint- Exupéry» commence sur Morane 230 avant de connaître le Harward II B (avion école construit au Canada pour la Royal Air Force et acheté par la France...). La «Thollon» s'initie sur Morane 315. Le Piège retrouve son vrai visage, mais n'a pas encore toute son autonomie, les élèves étant toujours tenus de suivre leurs cours de perfectionnement aux Etats-Unis.

Jusqu'en 1953-1954, rien ne viendra troubler l'organisation de Salon si ce n'est, bien sûr, l'incorporation de nouvelles promotions. La «Brachet» en 1948, la «de Seynes» en 1949, la «Schloesing» en 1950, la «Jeandet» en 1951, la «Dartois» en 1952, la «Brunschwig» en 1953 et enfin la «Heliot» en 1954. Les commandants aussi se succèdent durant cette période; l'Ecole aura pour chefs le colonel de Rivals de 1948 à 1949, puis le général Leroy de 1949 à 1951 et à nouveau le général de Maricourt jusqu'en 1954. La vie du Piège ne va pas pour autant stagner dans la douce habitude d'une existence qui paraît bien réglée; de nombreuses améliorations doivent y être apportées. Le 15 décembre 1954 est une date très importante pour l'Ecole : l'inauguration officielle de la piste Mistral, sous la présidence du colonel Bigot, nouveau commandant de l'Ecole. Cette piste moderne va enfin permettre d'effectuer l'ensemble de l'instruction du pilotage à Salon, et dès 1956, les poussins voleront sur Potez CM 170, mieux connu sous le nom de «Fouga Magister». 

3. Le trentenaire. 

Jusqu'en 1960 la période d'après guerre avait été marquée par le souci de bâtir et d'équiper. Tous les commandants d'Ecole s'y étaient employés, le souvenir du général Delfino y est tout particulièrement attaché. Les programmes n'en avaient pas pour autant été négligés; 1'accent avait été mis sur la formation militaire ainsi que sur l'instruction technique et professionnelle. A la suite de l'action entreprise par le général Aubinière, énergiquement poursuivie et développée par le général Gauthier, tenant compte des recommandations du conseil de perfectionnement de l'Ecole de l'Air de novembre 1960, l'Instruction ministérielle du 20 janvier ]960 marque un virage dans la politique de formation des jeunes officiers du recrutement direct. L'Ecole de l'Air y est définie comme une école de principes et d'initiation à une spécialité, le complément d'instruction destiné à assurer une connaissance pratique du métier devant être dispensé aux jeunes officiers dans les écoles d'application de l'Armée de l'Air.

Ainsi l'Ecole de l'Air, tout en conservant sa vocation d'Ecole militaire et technique, devient une grande Ecole Scientifique. Le général Rouquette puis le général Lecerf mettent sur pied les nouveaux programmes. L'enseignement prend progressivement un nouveau visage. Comme les élèves-officiers mécaniciens le faisaient depuis plusieurs années, les navigants présentent des certificats dans les Facultés de sciences. La qualité et le niveau de l'enseignement s'en trouvent mieux assis.

C'est consciente d'avoir trouvé sa place que l'Ecole fête son trentenaire en 1965 en présence de M. Messmer et de cinquante-deux officiers généraux. Ainsi se trouvent évoquées trente années de sacrifices et de gloire. Mais aussi trente années de recherche, d'amélioration, trente années qui ont été nécessaires pour donner au Piège sa personnalité.

Aussi c'est sur des bases solides que l'évolution peut se poursuivre. En 1967 est célébré avec éclat le cinquantenaire de la disparition de Guynemer en présence de ses compagnons et des associations d'anciens. En novembre le général de Gaulle vient inspecter l'Ecole.

Cette même année, le général Ph. Maurin oriente l'enseignement, d'une part vers ce qu'il devrait être dans une véritable université aérospatiale, d'autre part vers une meilleure formation professionnelle, voler plus tôt, voler plus, voler mieux pour les PN, acquérir une formation pratique avant d'arriver en unité pour les mécaniciens. La réforme de l'enseignement supérieur conduit à renoncer aux certificats mais permet de donner au programme scientifique une forme plus originale et mieux orientée vers la formation de l'ingénieur. Désormais, le diplôme d'ingénieur de l'Ecole de l'Air permet d'accéder au troisième cycle. Au cours des deux premières années, les vols sur avions légers et planeurs sont rendus obligatoires. Le début du pilotage élémentaire sur «Magister» est avancé au l'" juin de la deuxième année. Les élèves mécaniciens et télémécaniciens suivent des cours plus approfondis de maintenance et de fonction technique. Comme sous-lieutenants, ils participeront à des stages pratiques non seulement à Chambéry et Rochefort, mais dans des G.E.R.Ma.S (2). et des EMI (3). Par ailleurs, il reste toujours à bâtir. Il y a encore à Salon quelques baraques en bois. Il y manque un gymnase et une chapelle, dignes du Piège. On ne peut y loger aucun sous-lieutenant. Un plan d'instruction poursuivi méthodiquement remédiera à toutes ces insuffisances comme il est en train de donner à l'Ecole une nouvelle division des vols et un nouveau G.E.R.Ma.S.

Et le mouvement vers l'avant continue avec la même foi, le même dynamisme.. .

Désormais, Salon existe. Qui parle d'officiers de l'Armée de l'Air fait aussitôt allusion à un site de Provence où le ciel presque toujours bleu résonne du bruit strident des réacteurs. L'Ecole de l'Air? Une vision prestigieuse, des baptêmes émouvants qui voient un bachelier se transformer en homme prêt à supporter le poids des responsabilités. Que de chemin parcouru entre l'époque, pourtant pas si lointaine, des «Petites Ecuries» et celle des bâtiments neufs d'une base-école répondant aux dures exigences des techniques modernes. Le Piège demeure, Ie poussin d'aujourd'hui subit les mêmes épreuves que son ancien, connaît les mêmes peurs, les mêmes chahuts. Les traditions l'entourent, le forment, l'imprègnent de l'esprit si particulier de l'Ecole... Seul l'enseignement change et changera sans doute encore, pour répondre à la mission qui est de former des officiers, pour une armée au caractère essentiellement évolutif et ce, dans un temps lui-même en constant mouvement. Ceci vise non seulement l'ingénieur ou le technicien, mais surtout l'homme qui devra être à même de «Faire face» en toutes circonstances.

Ainsi, sans se reposer sur un passé prestigieux, sans se contenter d'un présent solide, l'Ecole de l'Air continue résolument à évoluer vers une constante adaptation à l'avenir de l'Armée de l'Air.

Général de Division Aérienne GRIGAUT (*)

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Liste des commandants de l'Ecole de l'air (EA) et de l'Ecole Militaire de l'air (EMA)

Liste des parrains de promotions de l'Ecole de l'air (EA) et de l'Ecole Militaire de l'air (EMA)


(1) La formation aéronautique de base étant faite à Villacoublay.

(2) Groupe d’entretien et de réparation des matériels spécialisés.

(3) Ensemble mobile d’instruction

(*) (Ndlr) Le général d'Armée Aérienne Claude Grigaut (promotion EA 1939) a commandé l'Ecole de l'air et l'Ecole Militaire de l'air entre 1967 et 1969. Il sera le Chef d'Etat-Major de l'Armée de l'air (CEMAA) du 12 décembre 1972 au 24 juin 1976.

Photo Ecole de l'Air - Versailles - 21/07/1938 - Défilé de l'Armée de l'air - 15 h 25 - le 1er Groupe (Dewoitine 510) de la 1er escadre de la 21ème Brigade.


Photo Ecole de l'Air - Versailles - 21/07/1938 - Défilé de l'Armée de l'air - 15 h 30 - l'Escadre de biplaces Potez 63 survole le château.

La Promotion Mézergues de l'Ecole de l'Air lors d'une prise d'armes à Versailles en 1939.


Elèves de l'Ecole de l'air (Promotion Mailloux ?) photographiés en avril 1940.


Entrée du Camp d'instruction de Cazaux en mars 1940.


La Promotion "Commandant Schloesing" photographiée lors d'une prise d'armes (à définir : baptême peut-être) - Salon de Provence - 1950-1951.
Au premier plan : Sipa 12 en ligne